1. Au coeur du réel agit une création continue, matérielle et
spirituelle. "Le monde est/doit être ma création" est l'éthique
différentielle des sujets singuliers. Vérité dont l'événement
inter-relationnel ne cesse de surgir çà et là au fil de l'Histoire.
Vérité souvent oubliée face aux humiliations décourageantes du "monde
comme il va" et des "humains comme ils sont". Le créalisme n'est pas un
anthropocentrisme qui séparerait artificiellement une nature-objet d'un
humain-maître et possesseur. Il y a des complicités et des affinités
actives entre le chaosmos et celui qui se rend digne de l'écouter et de
l'oeuvrer.
2. Le capitalisme altère le monde et pousse les
humains à vouloir altérer leur corps et leur âme selon des standards
anxiogènes. Ce qu'il s'agit de viser (tant d'autres l'ont mieux clamé
avant moi), c'est à une altérité différentielle en acte, une éthique
amoureuse, politique, érotique, esthétique, cosmique, professionnelle
faite d'ascèse aventureuse et de tentative héroïque de ne pas monnayer
ses extases. La stance contre le nihilisme hypnagogique passe par cette
exigence apparemment mégalomaniaque de déconditionnement en devenir, une
politique po(i)étique qui tente de redonner à l'imagination désirante, à
l'idéation volontaire et généreuse, à l'effort d'invention et de
soutien de structures nouvelles leurs lettres de noblesse en matière
d'existence.
3. Bien entendu, à l'échelle in-dividuelle, les
résultats ne sont pas souvent spectaculaires. Le créalisme est une
autodiscipline parfois ascétique dans un monde où les complicités
durables sont rares (l'envie compétitive a colonisé toutes les sphères, y
compris là où la tradition l'attend le moins), les obstacles froids
fréquents (idiotie et indifférence) et les puits de mélancolie
omniprésents. Mais le créalisme est aussi une extase sensible et
mentale, une source et une manifestation de joie.
4. Le
créalisme pose le primat de la créativité au coeur de l'être, et loin
d'être agencé aux seules disciplines artistiques, il concerne la
dynamique d'extension des territoires vivants, une praxis éprouvable et
collective de la singularité. Sous cette acception, le Créel est un
bourgeonnement imprévisible, un tissu vif d'interrelations à vocation
non-déterministe, tandis que le Réel est son compost, son encadrement
automatisé.
5. Pour ceux qui croient en "Dieu", le créalisme
revient à supposer qu'Il n'est pas figé une fois pour toutes. Son
identité change sans cesse à mesure de sa co-création par ses créatures.
L'univers est une partition musicale en constante (re)composition, au
fil de laquelle les improvisations sont toujours possibles. Nous sommes
tous plus ou moins divins selon les moments de notre vie, tantôt
dormeurs avides, tantôt acteurs et senseurs du Créel. L'accès au
dialogue lucide avec les forces aimant(é)es du monde est plus aisé
lorsque le sujet tient une certaine ascèse antimimétique et maîtrise ses
pulsions de consommation et de régression, au prix d'un effort de
renoncement aux (dé)plaisirs pavloviens. Pas facile, car le
totalitarisme de la consommation et de la fange sans cesse nous mobilise
en excitant nos neurones fatigués de ses messages en apparence
contradictoires (fausse liberté de choix entre l'hygiénisme et le
caboucadin). Chaque jour, le système capitaliste dépense des sommes
énormes pour nous débiliser. Mais heureusement, même les débiles sont
mentaux...
6. Contre les castrations des sinistres contempteurs
d'envol, contre la colonisation de l'intime par les impératifs
publicitaires duplicitaires, les créalistes ont toujours été de relatifs
sacrificateurs de confort standard (un certain luxe leur est pourtant
essentiel). Ils ont été des filtres de l'être, des haut-parleurs, des
raffineurs de chaos. Suivons leur exemple, ou supportons encore et
toujours les conséquences schizonévrotiques d'un monde rendu stagnant
par notre abandon ou notre collaboration avec la misère marchande, la
morose émulation simulatrice, la soumission à l'argent que nous
confondons, comme l'écrivait Marx, avec autrui. Agir ou subir la honte
quotidienne que tentent de nous infliger les soldats (autant de femmes
que d'hommes) de la société de classes. Se faire so(u)rcier des formes,
des intensités et des coïncidences, plutôt que d'accepter la banalité
des codes d'une époque saturée de culs-de-sac.
7. Une situation
de bouillonnement amoureux, des synchronicités, un désir de justice
allant au-delà des revendications salariales, une belle joute sans
hypocrisies entre adversaires nobles. Tout sauf la pusillanimité des
élans atrophiés, l'abrutissement des stimuli et l'idiotie affamée,
larmoyante, ricanante, fataliste. L'Histoire est triste ? Deleuze disait
: "L'histoire désigne seulement l’ensemble des conditions si récentes
soient-elles, dont on se détourne pour 'devenir', c’est-à-dire pour
créer quelque chose de nouveau."
8. Le créalisme est une
politique du Réel en tant que co-création en devenir, où le sujet
cohérent-actif occupe une place co-centrale avec l'harmonium cosmique,
où l'imagination, la passion, la volonté, l'art, le désir, l'amour
redéfinissent sans cesse, au présent et en acte, les conditions de
possibilité d'une vie désaliénée, d'une existence libre.
Luis de Miranda
Nessun commento:
Posta un commento